Arrêt de Nintendo c. DStorage : les conséquences

Le guide (vraiment) clair pour tout comprendre

La Cour de cassation vient de rendre un arrêt décisif (26 février 2025) dans l’affaire Nintendo c. DStorage.

Nintendo a gagné contre la plateforme 1fichier.com (DStorage) qui hébergeait des copies illégales de jeux vidéo.

La Cour de cassation a confirmé qu’un hébergeur ne peut plus fermer les yeux quand on lui signale un contenu manifestement illicite.

Les notifications LCEN deviennent l’arme n° 1 contre le piratage.

Pourquoi c’est un tournant ?

  1. Fin de l’excuse “je ne savais pas” : dès qu’une notification est suffisamment claire, l’hébergeur doit agir vite.

  2. Plus besoin de « dossier béton » pour alerter : la Cour accepte une preuve “light” quand l’illicéité saute aux yeux.

  3. Une décision qui anticipe le Digital Services Act (DSA) : la France montre déjà le sens de la marche européenne.

L’histoire en 90 secondes

Date

Ce qu’il se passe

Janv. 2018

Nintendo envoie 2 emails « LCEN » à DStorage : « Voici les liens vers des copies pirates de Mario & co, merci de supprimer ».

Mai 2018

Aucune réaction → Nintendo & Co. assignent DStorage.

Avr. 2023

Cour d’appel : DStorage responsable, 1 000 €/jour d’astreinte + dommages‑intérêts.

Fév. 2025

Cour de cassation : rejet du pourvoi, tout est confirmé.

Les 4 arguments de DStorage… et pourquoi la Cour les démonte

Argument de DStorage

Réponse de la Cour 

1. Notification invalide : pas de preuve de contact avec l’uploader.

Impossible de contacter quelqu’un… quand il est anonyme. La loi n’impose pas l’impossible.

2. Pas assez de preuves d’illicéité.

Des liens + des jeux ultra‑connus + mentions « free download » = illicite évident.

3. Nintendo devait prouver l’originalité.

Pokémon, Mario, Zelda sont notoires ; on ne va pas redémontrer l’évidence.

4. Injonction = surveillance générale interdite.

Non, la suppression vise des fichiers précis, pendant 6 mois : c’est de la surveillance ciblée, autorisée.

Ce qu’il faut retenir (même sans être juriste)

  • Une notification LCEN “sérieuse” suffit : Identité du demandeur, liens précis, motif bref.

  • Hébergeur ? Réagis sous 24‑48 h ou prépare‑toi à l’astreinte.

  • Pas besoin d’envoyer un mémoire de 100 pages : le “manifestement illicite” s’apprécie avec le bon sens.

  • La notoriété crée une “présomption d’originalité” : plus une œuvre est célèbre, moins tu devras prouver qu’elle est protégée.

Impacts pratiques

➤ Pour les plateformes & hébergeurs

  • Mets en place un formulaire “Signaler un abus” accessible en 2 clics.

  • Journalise chaque notification (date, fichier, action prise).

  • Prévois une check‑list d’évaluation de l’illicéité (mots‑clés, indices). Pas besoin d’être juriste, mais documente‑toi.

  • Si tu reçois 10 fois le même lien, pense filtre automatisé / hash pour empêcher la ré‑apparition.

➤ Pour les titulaires de droits (studios, éditeurs, créateurs)

  • Prépare un template de notification LCEN : identité, liens, pourquoi c’est illicite.

  • Joins des captures d’écran + les enregistrements de marque ou copyright.

  • Conserve la preuve d’envoi (LRAR, email horodaté). En justice, ça vaut de l’or.

➤ Pour les juristes in‑house & avocats

  • Mettez à jour vos clauses “Responsabilité de l’hébergeur”.

  • Anticipez le DSA : standards de transparence, signaleurs de confiance, délais imposés.

  • Formez les équipes support : ils sont en première ligne des notifications.

Vos questions fréquentes

« Combien de temps a l’hébergeur pour agir ? »

La loi dit “promptement”. Les juges tolèrent rarement plus de 2‑3 jours quand le contenu est manifestement illicite.

« Je suis un petit forum, suis‑je concerné ? »

Oui. Dès que tu héberges du contenu tiers, l’article 6‑I‑2 LCEN s’applique.

« Faut‑il signaler aussi à l’uploader ? »

Quand il est identifiable, oui. Mais s’il est anonyme, l’absence de contact ne bloque pas la procédure.

Glossaire express

  • LCEN : Loi pour la Confiance dans l’Économie Numérique (2004). Pose le régime “hébergeur = irresponsable, sauf si…”.

  • Notification LCEN : email ou courrier qui signale un contenu illicite avec 6 infos obligatoires.

  • Hébergeur : toute personne stockant un contenu fourni par un internaute (Dropbox, Reddit, blog perso avec commentaires…).

  • DSA : Digital Services Act. Nouveau règlement UE sur les plateformes en ligne (2024‑2025).

L’arrêt Nintendo c. DStorage confirme une tendance lourde : l’UE veut des intermédiaires responsables et réactifs.

Pour les professionnels du droit et de la finance, c’est l’occasion de :

  • Sécuriser vos contrats et vos investissements tech,

  • Valoriser un time‑to‑compliance exemplaire,

  • Préparer la bascule vers un DSA pleinement applicable.

Pour en savoir plus sur les changements liés à cet arrêt, je suis dispo pour en discuter :