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Bonjour à tous,

Depuis des mois, des directeurs financiers me confient qu’ils envisagent de payer leurs fournisseurs en stablecoins dollar.

Pas par idéologie, mais par pragmatisme : c’est rapide, peu coûteux, et ça contourne des rails dominés par des acteurs non-européens.

Pendant ce temps, la BCE avance son projet d’euro numérique, une forme digitale de monnaie centrale accessible au grand public.

Et le moment est décisif.

Si nous laissons le champ libre aux stablecoins adossés au dollar, nous acceptons une dépendance stratégique qui pèsera sur nos entreprises et nos politiques publiques.

Mais si nous construisons un euro numérique mal ficelé, nous créerons un outil de surveillance inefficace économiquement et explosif juridiquement.

Arnaud

Le potentiel d’un euro numérique

Un euro numérique n’est pas une cryptomonnaie de plus.
C’est une créance directe sur la Banque centrale, comme un billet.

Le projet est né de deux constats : la baisse de l’usage des espèces et la montée des paiements privés globaux qui fragilisent notre souveraineté monétaire.

La BCE explore le sujet depuis 2020.

En 2023, la Commission a proposé un règlement “euro numérique”, tandis que le Parlement et le Conseil débattent encore de ses modalités.

Tout se jouera dans les détails d’implémentation et de gouvernance.

Parce que son mode d’emploi juridique devra être cohérent avec les grandes règles européennes déjà en place.

Juridiquement, il faudra l’articuler avec le futur cadre des paiements (PSD3/PSR), la cybersécurité (DORA, NIS2) et la lutte contre le blanchiment.

L’architecture est envisagée avec des intermédiaires : la BCE l’émet, les banques et les prestataires de services de paiements le distribuent et gèrent la relation client.

Sauf que ça implique que la chaîne de responsabilité soit claire dès le lancement.

Qui indemnise en cas de fraude hors ligne, d’usurpation, de dysfonctionnement à la synchronisation ?

La Banque centrale ne peut pas devenir l’assureur universel.

Les distributeurs doivent porter une partie du risque, avec des fonds de garantie et des délais de remboursement opposables.

Il y a un autre point clé : l’implémentation.

Je refuse l’idée d’imposer du jour au lendemain à chaque commerçant l’acceptation d’un nouveau moyen s’il n’est pas équipé, formé et sécurisé.

L’acceptation doit être progressive, avec des exemptions temporaires et un accompagnement économique réel.

Sinon, on fabriquera du contentieux.
Et puis il y a le risque de désintermédiation.

Au lieu de garder votre argent sur le compte d’une banque commerciale, vous le mettez directement en euro numérique dans un portefeuille on-chain.

Sauf qu’en période de panique, si une rumeur court sur la solidité des banques, chacun peut transférer ses dépôts vers ce portefeuille.

Or, les banques utilisent vos dépôts pour financer des crédits.
Si l’argent s’évapore, elles se retrouvent en manque de liquidités.

Résultat : un bank run digital.
Comment éviter ça ?

En posant des garde-fous.

  • Des plafonds de détention (par exemple quelques milliers d’euros par personne) pour que l’euro numérique ne devienne pas un refuge illimité.

  • Une rémunération décourageante au-delà d’un certain seuil pour ne pas vider les dépôts bancaires.

  • Des freins automatiques lors de crises pour temporiser les conversions massives.

Bien calibrés, ces freins forment une digue à la fois économique et légale : on protège la stabilité financière sans tuer l’utilité de l’euro numérique au quotidien.

Sauf que ce type de garde-fous pose un autre problème.

Un euro digital signifie t-il la fin de la confidentialité de la monnaie ?
Devons-nous accepter ces garde-fous sous prétexte de sécurité ?
Serons-nous encore maîtres de notre capital ?

Les trois dérives qui me font dire “stop”

D’abord, il y a la surveillance.

Un euro numérique permettant de reconstituer votre vie économique en trois clics marquerait la fin de la confidentialité monétaire.

Mais ça peut aller encore plus loin, avec la conditionnalité de la monnaie.

L’idée, séduisante pour certains, de “programmer” l’argent pour interdire tel achat ou limiter telle activité.

Si des cas d’usage logiques sont utiles, ils doivent se faire avec consentement explicite, réversibilité, et contrôle judiciaire pour toute contrainte.

La monnaie sert l’échange, pas la morale du moment.

Enfin, l’euro numérique pourrait donner lieu à de la casse bancaire et à l’étouffement de l’innovation.

Un euro numérique qui draine les dépôts fragilise l'économie.
Un euro numérique réservé aux grandes banques étouffe les fintechs.

Il faut des plafonds, des désincitations au-delà d’un certain seuil, et un accès via des interfaces ouvertes.

Que les établissements traditionnels fassent le KYC et portent la relation client, oui.
Qu’ils verrouillent le marché, non.

Mais si nous évitons ces écueils, l’euro numérique sera un atout pour l’Europe.

Où l’euro numérique change vraiment la donne

Bien conçu, l’euro numérique réduit notre dépendance aux schémas de cartes (Visa, Mastercard, American Express, Discover…) extra-européens et à leurs règles tarifaires.

Un commerçant encaisse en instantané, sans empiler cinq intermédiaires et trois pourcentages différents.

Ensuite, c’est une protection des données potentielle.

Si nous choisissons des mesures de confidentialité fortes, l’euro numérique peut même être plus respectueux de la vie privée que nos cartes traditionnelles.

C’est un choix politique au moins autant qu’un choix technique.
Et grâce à ces mesures, cette monnaie digitale deviendrait un levier de compétitivité.

Je pense aux cas d’usage industriels : facturation instantanée B2B, automatisation de trésorerie…

Mais faut-il le construire sur une blockchain publique ?
La BCE s'interroge à ce sujet et aucune décision n'a été prise pour l'instant.

Je dirais non pour l’émission, oui pour la circulation.

La monnaie publique n’a pas besoin d’irrévocabilité absolue, elle a besoin de continuité de service et de responsables identifiés.

Bref, je suis favorable à l’euro numérique si trois clauses sont gravées dans le marbre :

  • Zéro programmabilité par l’émetteur,

  • Une confidentialité supérieure aux cartes,

  • Une architecture avec des garde-fous de stabilité financière.

Sans ces trois garde-fous, l’euro numérique est inacceptable.
Avec eux, il est notre arme de souveraineté.

Voulez-vous un euro numérique libéral, ou préférez-vous laisser le terrain aux solutions privées adossées au dollar ?

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Arnaud