L’essor des outils d’IA générative (ChatGPT, DALL·E, Midjourney, etc.) a révolutionné la création de contenus et les flux de travail en entreprise.
Pourtant, dès lors que vous intégrez un document, une image ou un extrait de texte ne vous appartenant pas, le cadre légal devient vite complexe.
Savez-vous vraiment quand, comment et pourquoi vous pouvez (ou non) injecter du contenu tiers dans un système d’IA générative ?
Les outils d’IA générative s’appuient sur des modèles de machine learning (réseaux neuronaux) entraînés sur d’immenses volumes de données.
Lorsque vous importez un fichier (texte, image, vidéo, etc.), le modèle peut :
Réutiliser ces éléments pour affiner ses résultats,
Produire de nouvelles propositions créatives,
Parfois conserver des traces de ces contenus sur ses serveurs (en fonction de la politique de chaque éditeur).
Autrement dit, le contenu que vous injectez ne disparaît pas : il peut influencer la réponse du système et, dans certains cas, être exploité d’une manière que vous n’aviez pas prévue.
Les professionnels du droit, de la finance ou de la création doivent donc prendre au sérieux les obligations relatives aux droits d’auteur, à la confidentialité et aux données personnelles.
Ce raisonnement est aussi fréquent qu’erroné. L’IA n’est pas une “zone de non-droit”. Comme tout outil numérique, elle reste soumise aux législations en vigueur :
Propriété intellectuelle (droit d’auteur, droit des marques, etc.),
Protection des données (RGPD),
Secret des affaires et contrats de confidentialité.
En pratique, utiliser une image protégée dans un générateur d’images ou injecter des extraits de PDF d’un livre protégé dans ChatGPT pour l’analyser n’exempte pas l’utilisateur des règles légales.
Au contraire, l’action d’“ingérer” un contenu tiers peut constituer une reproduction ou une adaptation, nécessitant l’autorisation préalable du titulaire des droits.
Imaginez qu’un graphiste souhaite réaliser un montage original via Midjourney. Pour ce faire, il y insère une photo tirée d’un site d’archives qui ne l’autorise pas. L’IA la “transforme”.
Malheureusement, l’auteur initial peut estimer qu’il y a violation du droit de reproduction et du droit d’adaptation, car la photo a été copiée et altérée sans consentement.
Les conséquences vont de l’injonction de cesser l’utilisation du visuel à des dommages et intérêts, voire des sanctions pénales pour contrefaçon.
Le droit d’auteur protège toute œuvre de l’esprit, originale, quel que soit son support (article L.111-1 du Code de la propriété intellectuelle en France). Cette protection couvre :
Les écrits (articles, romans, rapports, etc.),
Les créations visuelles (photographies, infographies, illustrations),
Les œuvres musicales, audiovisuelles, etc.
Les droits patrimoniaux (reproduction, représentation, adaptation) appartiennent à l’auteur ou à ses ayants droit. Injecter un fichier (texte ou image) dans un outil d’IA revient très souvent à copier ce fichier sur les serveurs de l’éditeur de l’IA. En l’absence d’autorisation de l’auteur, c’est une contrefaçon.
Les sanctions :
Civiles : dommages et intérêts (souvent élevés si le contenu est largement diffusé ensuite).
Pénales : jusqu’à 3 ans d’emprisonnement et 300 000 € d’amende (article L.335-2 CPI en France).
En pratique, pour éviter toute infraction, vous devez vous assurer d’avoir les droits nécessaires avant d’importer du contenu dans l’IA. Cela inclut les polices de caractère, les logos, les schémas, les extraits de livres, etc.
On entend souvent dire : “Je n’enfreins pas la loi, c’est pour une copie privée.” Or, la copie privée (article L.122-5 du CPI) est strictement limitée à un usage privé, sans diffusion et sans réutilisation par un tiers.
Les IA génératives, elles, conservent et traitent les données de manière à produire des résultats qui peuvent être réutilisés par d’autres.
Elles s’éloignent donc de la notion de copie privée.
De même, la courte citation implique un usage ponctuel, justifié par le caractère critique, polémique, pédagogique ou scientifique (L.122-5 CPI), et la mention de l’auteur.
L’importation de contenu dans un système d’IA ne s’apparente généralement pas à une simple citation.
Le plus souvent, c’est une intégration complète ou partielle visant une transformation.
Au-delà du droit d’auteur, beaucoup d’entreprises manipulent des documents confidentiels :
Business plans, données stratégiques, états financiers non publics,
Contrats clients, bases de données de contacts, codes sources, etc.
Le secret des affaires protège ces informations (loi n° 2018-670 du 30 juillet 2018, transposant la directive 2016/943/UE).
L’article L.151-1 C. com. précise que toute violation (obtention, utilisation ou divulgation illicite) peut engendrer une responsabilité civile.
Introduire de tels documents dans un outil d’IA générative externe peut être qualifié d’utilisation ou de divulgation non autorisée, surtout si l’outil stocke ou partage ces données avec d’autres utilisateurs.
Exemple : Un collaborateur d’un cabinet de conseil copie-colle une présentation confidentielle pour “résumer” via ChatGPT.
La plateforme, si elle conserve ces textes pour “entraîner” son modèle, enfreint potentiellement la confidentialité.
L’entreprise d’où provient le document pourrait reprocher au collaborateur d’avoir commis une faute grave, voire exiger des dommages et intérêts s’il en résulte une divulgation d’information stratégique.
Le RGPD impose que toute donnée à caractère personnel (nom, adresse, CV, photo, etc.) soit collectée et traitée dans le respect de finalités spécifiques, du consentement ou d’un intérêt légitime, etc.
Si vous chargez des données personnelles dans un outil d’IA hébergé par un tiers, vous devenez “responsable de traitement” et l’éditeur de l’outil peut être un “sous-traitant”.
Cela nécessite :
Un contrat de sous-traitance conforme à l’article 28 RGPD,
Un consentement ou une base légale solide,
Une analyse d’impact (DPIA) si le traitement est jugé risqué (ex. scoring, profilage).
Sans ces garanties, vous risquez des sanctions (jusqu’à 20 millions d’euros ou 4 % du CA mondial).
Concrètement, partager un jeu de données de clients avec un chatbot pour effectuer une segmentation marketing pourrait vous mettre en infraction si le chatbot stocke et réexploitait ces informations sans contrôle.
Le danger numéro un est la contrefaçon :
Reproduction non autorisée d’un texte, d’une image, d’une vidéo, etc.
Adaptation ou transformation d’une œuvre protégée sans accord.
Le titulaire des droits peut exiger :
La cessation de la diffusion du contenu généré,
Des dommages et intérêts,
Le retrait ou la destruction des fichiers,
Éventuellement des sanctions pénales.
Exemple : un cabinet d’avocats publie un livre blanc créé avec un générateur de texte, en ayant importé de longs extraits d’un manuel payant.
L’ayant droit du manuel détecte sa refonte non autorisée et poursuit le cabinet en justice. Résultat : préjudice financier, atteinte à la réputation du cabinet et potentiel conflit client.
Les incidents récents (ex. : un employé Samsung ayant copié-collé du code source confidentiel dans ChatGPT) révèlent que la moindre copie dans un chatbot public peut conduire à une fuite de données critiques. Tout concurrent utilisant le même outil pourrait, dans certaines conditions, y avoir accès (indirectement ou par exploitation).
D’après la directive 2016/943, la “violation du secret d’affaires” se caractérise par l’obtention, l’utilisation ou la divulgation non autorisées d’informations précieuses pour l’entreprise, entraînant un préjudice commercial.
Les peines peuvent s’avérer lourdes, surtout si le fait est commis par un salarié tenu à la plus grande discrétion.
Si des données personnelles (CV, e-mails, relevés de santé, etc.) sont injectées, le risque RGPD est double :
Manque de consentement : la personne concernée n’a pas consenti à ce que ses données soient traitées par l’IA, potentiellement à l’étranger.
Finalité non prévue : l’usage d’amélioration du modèle IA dépasse le but initial pour lequel les données ont été collectées.
Exemple : Un notaire souhaite analyser plus rapidement des actes officiels, incluant des informations nominatives.
Il les importe dans un outil “gratuit” en ligne, hébergé aux États-Unis. Sans cadre contractuel ni base légale solide, la CNIL peut considérer qu’il y a violation du RGPD.
Au-delà des sanctions légales, un incident de contrefaçon ou de fuite d’informations nuit gravement à la réputation d’un cabinet, d’une banque ou d’une administration.
Dans un secteur juridique/financier, où la confiance est un pilier, ces affaires se traduisent souvent par des ruptures de contrats, un manque de crédibilité ou un départ des meilleurs collaborateurs.
Identifier la source : le document ou l’image est-elle sous licence libre ? Appartient-elle à votre entreprise ?
Lire les mentions légales : savoir si le contenu est protégé par le droit d’auteur, s’il y a une licence Creative Commons adaptée, etc.
Obtenir l’autorisation explicite : dans certains cas, un simple e-mail de l’auteur ne suffit pas, il faut un accord écrit clair stipulant la reproduction/adaptation autorisée, éventuellement moyennant une contrepartie financière.
Chaque plateforme (ChatGPT, Midjourney, etc.) propose des Conditions Générales d’Utilisation (CGU). Elles décrivent :
Les données qu’elle stocke,
Son mode de traitement (réutilise-t-elle le contenu pour enrichir le modèle ?),
Les engagements (ou non) en termes de confidentialité.
En pratique, certaines solutions offrent une version “Entreprise” ou “On-Premise” plus respectueuse de la confidentialité, voire la possibilité de désactiver l’historique de chat.
Les cabinets d’avocats ou de conseil soucieux d’éviter les fuites devraient opter pour ce type d’offre, plus sécurisée.
Si vous avez absolument besoin de la puissance de l’IA pour traiter un document, appliquez des mesures d’anonymisation (suppression des noms, prénoms, adresses, etc.) et purifiez le texte d’informations confidentielles ou non essentielles.
Moins il y a de données sensibles, plus vous limitez l’exposition à la violation de secrets ou au risque RGPD.
Masquage : remplacer les informations sensibles par des balises (« [CLIENT X] », « [CHIFFRE D’AFFAIRE] », etc.).
Retrait de paragraphes trop identifiants.
Segmentation : au lieu de tout charger d’un coup, extraire uniquement les morceaux nécessaires pour la tâche en cours.
Les entreprises et cabinets peuvent élaborer une charte ou une politique interne précisant :
Les types de contenus autorisés à l’import,
Les approbations requises (ex. validation par un responsable juridique),
Les outils IA validés (versions sécurisées, paramétrage de la confidentialité),
Les sanctions en cas d’infraction.
Cette charte formalise les règles et protège la direction en montrant qu’elle a pris des mesures raisonnables pour éviter les usages illicites.
Dans un contexte B2B, pensez à insérer des clauses contractuelles lorsqu’un client ou un partenaire vous confie des documents.
Indiquez clairement si vous comptez ou non utiliser un outil IA, et comment vous assurerez la protection des données.
De même, si vous êtes vous-même client d’un service IA, exigez un contrat de sous-traitance RGPD (art. 28) et des clauses qui garantissent le non-stockage ou la suppression immédiate des contenus injectés.
Cas n°1 : Cabinet d’avocats
Un collaborateur junior veut résumer un volumineux contrat M&A de 80 pages via ChatGPT. Le contrat contient des clauses confidentielles et des informations sensibles sur l’entreprise visée.
Sans charte, il copie-colle l’intégralité dans l’interface. Quelques jours plus tard, certains extraits filtrent dans des suggestions “d’écriture” proposées à un autre utilisateur.
Résultat : alerte du client, suspicion de fuite de secret d’affaires, et risque de mise en cause de la responsabilité du cabinet pour manquement à la confidentialité.
Cas n°2 : Banque d’investissement
Une équipe marketing souhaite affiner son communiqué de presse en intégrant quelques phrases extraites d’un site spécialisé payant, réputé pour ses analyses sectorielles.
L’outil Midjourney génère une infographie stylisée. Mais l’auteur du site repère la copie d’extraits textuels protégés, transformés en slogans. Il réclame 50 000 € de dommages et intérêts.
La banque, mal préparée, découvre que la contrefaçon se fonde sur la reproduction d’éléments textuels originaux. Perte d’image, frais d’avocats, négociation coûteuse.
Cas n°3 : Start-up de recrutement
Elle intègre des CV et lettres de motivation dans un chatbot pour gagner du temps dans la sélection.
Or, l’outil se trouve hébergé hors de l’UE, sans contrat RGPD. Les candidats n’ont jamais été informés.
La CNIL reçoit une plainte et engage une enquête. Montant potentiel d’amende : plusieurs centaines de milliers d’euros, en plus des engagements correctifs à respecter.
Identifier le type de contenu : S’agit-il d’une œuvre protégée, d’un document confidentiel ou de données personnelles ?
Vérifier les droits : Possédez-vous ou avez-vous acquis les autorisations nécessaires ? Les licences d’utilisation libres sont-elles valides ?
Analyser les CGU de la plateforme IA : Où sont stockées les données ? Sont-elles partagées avec d’autres utilisateurs ? Existe-t-il une option d’opt-out pour l’apprentissage du modèle ?
Respecter la confidentialité : N’intégrez pas de secrets d’affaires ou de contrats sensibles dans un outil public, sauf si la charte interne ou un contrat avec le fournisseur IA l’autorise (avec garanties).
Anticiper le RGPD : Les données personnelles doivent être traitées selon une base légale, avec une information claire, une minimisation des champs, et un encadrement contractuel pour toute sous-traitance.
Former vos équipes : Chacun doit comprendre les risques et bonnes pratiques. Il suffit d’une erreur de copier-coller pour engager la responsabilité de toute l’entreprise.
Les opportunités offertes par l’IA générative sont formidables, mais elles exigent une vigilance accrue dès qu’il s’agit d’importer des contenus tiers.
Entre le droit d’auteur, la confidentialité et la protection des données, tout professionnel doit prendre le temps d’évaluer les risques et d’adopter des règles claires.
Mieux vaut prévenir que gérer un litige pour contrefaçon ou un scandale de fuite d’informations.
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Ne laissez pas l’innovation se transformer en risque légal : adoptez une stratégie responsable et conforme.